Faire face à l'oubli.

samedi 24 janvier 2009

Tonio Kröger - Thomas Mann



"Pour ma part je m'en vais au café. C'est un terrain neutre que n'affectent pas les changements de saisons, voyez-vous, il représente, pour ainsi dire, la sphère distante et supérieure de la littérature où il ne peut vous venir que des idées nobles."


"Quand une pensée s'empare de vous on la trouve exprimée partout."

"Si vous tenez trop à ce que vous avez à dire, si votre coeur bat trop vite pour votre sujet, vous pouvez être sûr d'un fiasco complet. Vous serez pathétique, vous serez sentimental, vous produirez une oeuvre lourde, gauche, austère, dénuée de maîtrise, d'ironie et de sel, ennuyeuse, banal, et le résultat final sera l'indifférence chez le public et pour vous la déception et le chagrin...Car c'est ainsi Lisaveta, le sentiment, le sentiment vivant et chaud est toujours banal, inutilisable, et seules les vibrations, les froides extases de notre système nerveux corrompu, de notre système nerveux d'artiste, ont un caractère esthétique. Il est nécessaire d'être dans une certaine mesure en dehors de l'humanité, d'être un peu inhumain, de vivre à l'égart de ce qui est humain dans des rapports lointains et désintéressés, pour être en état, pour être seulement tenté de les représenter, de jouer avec, de les reproduire avec goût et succès."

samedi 10 janvier 2009

La Nausée - Jean Paul Sartre


"Ce soir je suis bien à l'aise, bien bourgeoisement dans le monde."

"Pourvu qu'ils ne viennent pas de voyageurs de commerce cette nuit : j'ai tellement envie de dormir et tellement de sommeil en retard. Une bonne nuit, une seule, et toutes ces histoires seraient balayées."

"A moins que ce ne soit le jour du monsieur de Rouen. Il vient toutes les semaines, on lui réserve la chambre n°2, au premier, celle qui a un bidet. Il peut encore s'amener : souvent il prend un bock au Rendez-vous de Cheminots avant de se coucher. Il ne fait pas trop de bruit, d'ailleurs. Il est tout petit et très propre, avec une moustache noire cirée et une perruque. Le voilà.
Eh bien, quand je l 'ai entendu monter l'escalier, ça m'a donné un petit coup au coeur, tant c'était rassurant : qu'y-a-t-il à craindre d'un monde si régulier ? Je crois que je suis guéri.


"Ce qu'il y a, c'est que je pense très rarement ; alors une foule de petites métamorphoses s'accumulnt en moi sans que j'y prenne garde et puis, un beau jour, il se produit une véritable révolution."


"Il reste encore une vingtaine de clients, des célibataires, de petits ingénieurs, des employés. Ils déjeunent en vitesse dans des pensions de famille qu'ils appellent leurs popotes et, comme ils ont besoin d'un peu de luxe, ils viennent ici, après leur repas ils prennent un café et jouent au poker d'as : ils font un peu de bruit, un bruit inconsistant qui ne me gêne pas. Eux aussi, pour exister, ils faut qu'ils se mettent à plusieurs.
Moi je vis seul, entièrement seul. Je ne parle à personne, jamais ; je ne reçois rien, je ne donne rien."

"Maintenant, je ne pense plus pour personne ; je ne me soucie même pas de chercher des mots. Ca coule en moi, plus ou moins vite, je ne fixe rien, je laisse aller. La plupart du temps, faute de s'attacher à des mots, mes pensées restent des brouillards. Elles dessinent des formes vagues et plaisantes, s'engloutissent : aussitôt, je les oublie.
Ces jeunes gens m'émerveillent : ils racontent, en buvant leur café, des histoires nettes et vraisemblables. Si on leur demande ce qu'ils ont fait hier, ils ne se troublent pas : ils vous mettent au courant en deux mots. A leur place, je bafouillerais. Il est vrai que personne, depuis bien longtemps, ne se soucie plus de l'emploi de mon temps. Quand on vit seul, on ne sait même plus ce que c'est que raconter ; le vraisemblable disparaît en même temps que les amis. Les évènements aussi, on les laisse couler ; on voit surgir brusquement des gens qui parlent et qui s'en vont, on plonge dans des histoires sans queue ni tête : on ferait un exécrable témoin. Mais tout l'invraisemblable, tout ce qui ne pourrait pas être cru dans les cafés, on ne le manque pas."

"Maintenant, il y a partout des choses comme ce verre de bière, là, sur la table. Quand je le vois, j'ai envie de dire : pouce, je ne joue plus. Je comprends très bien que je suis allé trop loin. Je suppose qu'on ne peut pas "faire sa part" à la solitude."

"Je suis au milieu de ces voix joyeuses et raisonnables. Tous ces types passent leur temps à s'expliquer, à reconnaître avec bonheur qu'ils sont du même avis. Quelle importance ils attachent, mon Dieu, à penser tous ensemble les mêmes choses."